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Colloque au Sénat français

Algérie-France

Comprendre le passé
pour mieux construire l’avenir
 

Samedi 30 juin 2012

Palais du Luxembourg - Salle Clemenceau 

A l’initiative du groupe interparlementaire d’amitié France-Algérie

En partenariat avec : 

                                                                                                                                                                                                                              

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Anouar BENMALEK, Écrivain

Un grand traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Algérie : une exigence non seulement morale, mais aussi stratégique

Je n'interviens ici ni avec la rigueur de l'historien ni avec la prudence du diplomate, mais en tant qu'écrivain, c'est-à-dire quelqu'un qui est autorisé à rêver.

Certains hommes politiques ont parlé des aspects « positifs » du colonialisme. Je pense, pour ma part, que l’aspect le plus positif du colonialisme est sa fin. Le 5 juillet 1962 clôt un épisode de l’histoire commune de l’Algérie et de la France, le colonialisme, qui reste, et de quelque manière qu’on l’appréhende, un déni de justice contre ceux qui, pendant trop longtemps, ont été affublés du nom d’indigènes, mot ordinaire détourné de son sens originel qui est celui, simplement, de premiers habitants d’un territoire.

Le colonialisme a été un crime contre deux pays : l’Algérie d’abord et les Algériens, la France ensuite et ses valeurs universalistes détournées, maquillées, étouffées.

Je maintiens que la première date « heureuse » dans cette histoire entre les deux peuples algérien et français est cette date du 5 juillet 1962. Si, pour l’Algérie, cette date est « heureuse » par définition puisqu’elle marque son accession au statut d’État indépendant, la France devrait considérer cette date comme celle d’une guérison, guérison de la « maladie coloniale », maladie en effet puisqu’elle a fait perdre la « raison » à la « vraie » France, celle du triptyque républicain Liberté, égalité, fraternité. Ne doit-on pas considérer comme une belle date la date de sa propre guérison ? Le 14 juillet en France, par exemple, n’est-il pas fêté comme la fin de la « maladie féodale », celle qui considérait comme allant de soit l’inégalité des êtres humains en distinguant entre nobles et roturiers, entre hommes libres et serfs, etc. Par ailleurs, le 8 mai 1945 n’est-il pas considéré par les démocrates allemands comme la fin de la maladie nazie ?

Peut-être le moment viendra-t-il, laissez-moi rêver, où cette date du 5 juillet sera fêtée comme la grande fête de la réconciliation entre deux idéaux républicains, ceux des Algériens aspirant à l’égalité et à la dignité de citoyens, ceux des Français, mieux représentés à mon sens par des compatriotes comme Jean Moulin ou Victor Schœlcher que par Massu, Bigeard ou Aussaresses.

C’est vrai que les crimes ont été nombreux avant et pendant la guerre d’Algérie – que les Algériens nomment plus justement la guerre d’indépendance –, crimes des premiers temps de l’occupation, des « enfumades », de la spoliation massive des terres, des inégalités et de l’injustice inscrite dans le marbre du code de l’indigénat, ou ceux, plus d’un siècle plus tard, de l’armée française contre les villages algériens bombardés au napalm, de la torture érigée en système au sein des si mal nommés Départements opérationnels de sécurité, des déplacements meurtriers de populations, tout cela pour faire prévaloir une prétendue supériorité raciale qui ferait des conquérants de 1830 les propriétaires de droit divin de ce territoire béni par la géographie et la géologie qu’est l’Algérie.

Crimes également, ne l’oublions pas, de certains acteurs du mouvement indépendantiste contre leur propre population, tant a pu être inflexible la volonté du FLN d’être le seul représentant de la volonté de liberté du peuple algérien, crimes tels que ceux de Melouza, des victimes de la « bleuïte » et d’autres événements atrocement semblables, crimes que l’Algérie officielle ne reconnaît pas jusqu’à présent, ignorant que la grandeur d’un pays adulte se mesure également à sa capacité à reconnaitre et assumer ses erreurs.

Que l’on ne se trompe pas cependant sur la nature de mes propos : les crimes du colonialisme sont d’une toute autre ampleur et même les fautes (les crimes parfois) des combattants pour l’indépendance ne peuvent être « utilisées » pour rejeter dos à dos les deux belligérants. De même, si l’échec, jusqu’à présent, de l’Algérie à jouir d’une république démocratique telle que promise dans le texte fondateur de l’appel du 1er novembre 1954 est patent, cela en aucun cas ne peut servir de prétexte pour discréditer a posteriori le mouvement de libération algérien.

Cet échec terriblement actuel à implanter des usages démocratiques dans la gestion de l'Algérie, cette prédation généralisée dont on a pu accuser, à raison souvent, beaucoup de hauts dignitaires algériens, tant civils que militaires, cette incapacité à sortir d’une gestion patrimoniale de l’Algérie, est et reste une affaire intérieure algérienne. Il y a suffisamment de forces vitales en Algérie pour, inéluctablement, changer tôt ou tard cet état de fait. J’y crois profondément, malgré les années de terreur que l’Algérie a vécues dernièrement, malgré le désespoir qui a pu souvent nous saisir, malgré les cent à deux cent mille morts de la période récente.

Nos deux pays ne sont plus des pays innocents, l’histoire, la sale histoire des hommes, les a déniaisés. Pays frontaliers – puisque la mer Méditerranée, en ce 21ème siècle débutant, ne suffit pas à séparer deux pays –, condamnés à se supporter, ils devraient au contraire choisir de faire de leur terrible histoire commune et de leur proximité géographique un atout et choisir la voie de la grandeur : la signature d’un grand traité d’amitié et de coopération, conçu par deux partenaires adultes, puissants, riches, ayant une connaissance précise de leurs intérêts réciproques, intégrant également le fait que, dans sa chair, une partie non négligeable des citoyens de l’un des partenaires est originaire de la population de l’autre partenaire.

Transformer, sans tomber dans l’angélisme, les haines, les rancœurs, les malentendus, les peurs en leurs contraires : l’amitié, la compréhension, la coopération, c'est cela que devrait être le but de ce grand traité d'amitié et de coopération tant de fois remis à plus tard.

Nos deux pays en sortiraient grandis et renforcés même dans leur sécurité. En fin de compte, un grand traité de ce genre serait une exigence non seulement morale, mais aussi stratégique dans le sens le plus militaire du terme, en ce temps où une partie de Sahel est directement menacée par la gangrène meurtrière des mouvements terroristes se réclamant d’Al-Qaïda.

Il est toujours urgent de rêver. Les réalistes prétendent que ce serait être naïf que de penser, dans le contexte actuel, à une rencontre algéro‑française du type De Gaulle-Adenauer. Mais de quoi donc, depuis cinquante ans, peuvent se prévaloir ces fameux réalistes ? Ce sont, au contraire, les rêveurs qui ont osé lancer la proclamation du 1er novembre 1954 qui allait mener à la libération de l’Algérie. Ce seront, par conséquent, d’autres rêveurs qui rapprocheront nos deux pays – mes deux pays – par un traité d’amitié à la hauteur des chagrins et des espoirs de leur histoire commune.

 

 

Débat

Bariza KHIARI, vice-présidente du Sénat : "... Il faut aller plus loin et je plaide, comme vous, Monsieur Benmalek, pour la refondation d'un traité d'amitié avec un vrai contenu qui touche les gens. ..."

Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Sénateur, ancien Ministre, président de l’Association France-Algérie: " ... J'adhère tout à fait de ce point de vue aux propos d'Anouar Benmalek quand il dit que l'indépendance de l'Algérie a été une libération pour l'Algérie mais aussi pour la France qui s'est trouvée dans l'obligation de porter un autre regard sur son histoire..."

Anouar Benmalek: " La relation entre l'Algérie et la France ne dépend pas que des gouvernements de nos deux pays. La tentation est forte de ce côté ci de la Méditerranée de ne voir l'Algérie qu'à travers le prisme de ses gouvernants. Or le pouvoir algérien n'est pas le meilleur représentant de la population algérienne."