Hommage à Kateb Yacine

lecture d'une lettre écrite en octobre 1990

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La Tribune, 15 décembre 2009 : "...  De son côté, Anouar Benmalek fait un retour sur « l’excommunication de Kateb Yacine l’Algérien par El Ghazali l’Égyptien» ... Il a lu son texte "De quoi je me mêle", publié en réponse à la haineuse déclaration d’El Ghazali après la mort de l’écrivain...      

                   

Mais de quoi je me mêle ?

(lettre à l'imam Ghazali)

(Octobre 90)

                                                        

 Enterrer en France

 Je ne sais pas quelle mouche a piqué Cheikh Ghazali dans le dernier numéro de la revue El Irchad, organe de l’association islamiste de M. Nahnah.

Voilà, en effet, ce qu’il écrit à propos de Kateb Yacine, « notre » Kateb Yacine :

« Quand j’ai appris la nouvelle de la mort de Kateb Yacine, j’ai dit : Était-il donc vivant qu’on puisse parler de sa mort ! ?

Plus loin, M. Ghazali n’hésite pas à s’exclamer :

« S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurais recommandé de l’enterrer en France, non en Algérie. Il a vécu en écrivant en français, non en arabe !… »

Tss, tss, tss, Monsieur Ghazali, votre mine avenante et votre ton patelin à la télévision (algérienne, rappelons-le !) ne nous avaient pas laissé supposer que vous puissiez tenir de tels propos à l’encontre d’un de nos plus grands écrivains, peut être le plus grand, et manquer ainsi à la plus élémentaire courtoisie… et décence.

Car qui êtes-vous donc, Monsieur  Ghazali, pour décider du lieu d’enterrement d’un des enfants les plus prestigieux de notre pays et aller jusqu’à lui « dénier » le droit de reposer dans un trou creusé dans sa terre natale ? Votre qualité d’étranger à ce pays (ce qui n’est pas un défaut, mais un état de fait), « très bien » payé de surcroît quand vous étiez en poste à l’université Émir Abd El Kader de Constantine, aurait dû vous inciter à plus de modestie quant à la prétention de définir l’algérianité ou non des Algériens.

Vous vous attaquez aux convictions de notre écrivain et en déduisez par une pirouette terrifiante, digne de la grande Inquisition espagnole, que « Kateb Yacine et ses semblables sont des mercenaires de l’invasion culturelle », méritant tout juste le qualificatif (que vous employez, du reste) de « traites ».

Je parlais tout à l’heure de modestie. Celle-ci ne semble pas constituer une de vos préoccupations essentielles puisque, vous comparant à l’auteur de « Nedjma », vous laissez tomber cette phrase incroyable : « Cet homme est trop bas pour moi pour que je parle de lui… ».

Le problème, c’est que vous en parlez et tellement mal ! Au point, d’ailleurs, de lui attribuer, dans votre hâte de l’accabler de tous les péchés de « mécréance » possibles, un livre qu’il n’a jamais écrit : « Mohammed, prends ta valise ! » Et pour cause, puisque ce titre est celui d’une pièce de théâtre, non d’un livre.

De plus, vous faites semblant de croire que « Mohammed » désigne ici le nom du prophète de la religion musulmane, alors que la pièce traite du sujet de l’émigration ; « Mohammed prends ta valise ! » est l’injonction faite par les racistes français aux émigrés nord-africains de déguerpir de la France.

Que vous dire de plus, Monsieur Ghazali qui voulez jouer au ministre de l’Intérieur chez nous : nous aimions et nous aimons Kateb Yacine et ce, pour plusieurs raisons.

D’abord, nous l’aimons parce qu’il est l’auteur d’un des plus beaux livres de la littérature universelle : Nejma. Ce n’est pas un compliment de circonstance. Il vous suffirait de demander l’avis des départements de littérature de la plupart des universités de la planète.

D’autre part, nous l’aimons également parce que, quand Kateb a découvert que la majeure partie de son peuple ne comprenait pas la langue de ses livres, il a décidé de faire le sacrifice de son talent d’écrivain et s’est consacré corps et âme, pendant de longues années et malgré les innombrables tracasseries du pouvoir, au théâtre en langue arabe dialectale. Combien d’écrivains consacrés auraient eu ce courage ?

Mais surtout, nous aimons Kateb Yacine pour une raison que vous n’allez sûrement pas comprendre, vous qui êtes bien en cour autant auprès de sa majesté le roi Fahd que du président Chadli Bendjedid. Kateb Yacine abhorrait les puissants et leurs courtisans et ne se privait pas de le dire tout haut, ici, en Algérie. Cela lui a valu bien des désagréments et seules sa réputation internationale et son honnêteté sans failles ont été alors ses boucliers.

Cela surtout, à l’heure où tout se monnaye et où la simple humanité et la raison chancellent chez beaucoup, fera que nous ne l’oublierons jamais, Monsieur  Ghazali.

 

Malédiction

 Qu’est-ce que nous avons pu entendre comme imbécillités dans des sermons de certaines mosquées, juste après la mort de Kateb Yacine. Dans l’un, il était dit que la malédiction divine s’était abattue sur l’écrivain, à cause de son irréligiosité et que sa dépouille était brusquement devenue toute noire. Dans un autre, un imam affirmait que la tombe de Kateb avait rétréci, refusant d’accueillir le corps. Et j’en passe…

Mais dans quel pays sommes-nous maintenant, Monsieur  Ghazali ? Je pensais que le premier devoir des vivants à l’égard des morts était de les laisser reposer en paix. Maintenant, on les insulte.

 

 Othman

 Certains répondront cependant que l’histoire de notre civilisation n’est pas avare de comportements de ce type envers non seulement ceux qui faisaient preuve de tiédeur ou d’irrespect envers la religion, mais aussi envers les représentants mêmes de cet Islam. Mohammed Saïd  Ashmawy, dans un petit livre fort intéressant, rappelle fort opportunément que trois des quatre premiers califes dits « bien guidés » ont été assassinés par leurs propres coreligionnaires. A propos de l’un d’eux, Othman Ibn Affan, il écrit : « Même les interdits les plus sacrés furent violés, comme celui qui entoure les morts : refusant qu’il soit enterré avec les musulmans, les meurtriers de Othman Ibn Affan profanèrent sa dépouille mortelle puis l’inhumèrent dans le cimetière juif… »

Sommes nous donc si près que ça de cette période, Cheikh Ghazali ? Et la « rahma », la simple miséricorde humaine,  qu’en avons-nous fait ?  

 

Anouar Benmalek

 

 

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