El Watan : Comment percevez-vous votre invitation par le président François Hollande à faire partie de sa délégation ?
Anouar Benmalek : C’est évidemment un grand honneur qui m’est fait. J’ai le lourd privilège d’être citoyen de deux grands pays, l’Algérie et la France. J’ai quitté l’Algérie il y a vingt-et-un ans dans des circonstances difficiles. J’y reviens dans l’Airbus présidentiel, accompagnant le président français pour assister à sa rencontre avec le président algérien ! Le symbole est très fort pour moi et m’émeut à un point que vous ne pouvez imaginer, moi dont toute l’œuvre est irriguée par l’Algérie et qui aime si profondément le pays de mon père et le pays qui m’a accueilli.
E.W : Comment voyez-vous les relations franco-algériennes ? Peut-on dépasser la passion historique ?
A.B : Certains hommes politiques ont parlé des aspects « positifs » du colonialisme. Je pense, pour ma part, que l’aspect le plus positif du colonialisme est sa fin. Le cinq juillet 1962 clôt un épisode de l’histoire commune de l’Algérie et de la France, le colonialisme, qui reste, et de quelque manière qu’on l’appréhende, un déni de justice contre ceux qui, pendant trop longtemps, ont été affublés du nom d’indigènes
Cinquante après, nos deux pays ne sont plus des pays innocents, l’histoire, la sale histoire des hommes, les a déniaisés. Pays « frontaliers » (puisque la mer Méditerranée, en ce 21ème siècle débutant, ne suffit plus pour séparer), condamnés à se supporter, ils devraient au contraire choisir de faire de leur terrible histoire commune et de leur proximité géographique un atout et choisir la voie de la grandeur : la signature d’un grand traité d’amitié et de coopération, conçu par deux partenaires adultes, puissants, riches, ayant une connaissance précise de leurs intérêts réciproques, intégrant également le fait précieux que, dans sa chair, une partie non négligeable des citoyens de l’un des partenaires est originaire de la population de l’autre partenaire.
Transformons, sans tomber dans l’angélisme, les haines, les rancœurs, les malentendus, les peurs en leurs contraires : l’amitié, la compréhension, la coopération.
Nos deux pays en sortiraient grandis et renforcés même dans leur sécurité. En fin de compte, un grand traité de ce genre serait une exigence non seulement morale, mais aussi stratégique, en ce temps où une partie de Sahel est directement menacée par la gangrène meurtrière des mouvements terroristes se réclamant d’Al-Qaïda.
E.W : En tant qu'écrivain et intellectuel, qu'avez-vous envie de dire aux présidents François Hollande et à Abdelaziz Bouteflika ?
A.B : Il tient à eux de faire en sorte que leur rencontre soit du type De Gaule-Adenauer. Les réalistes des deux côtés de la Méditerranée prétendront que ce serait du plus haut degré de naïveté que de l’espérer dans le contexte actuel. Mais de quoi donc, depuis cinquante ans, peuvent se prévaloir ces fameux « réalistes »? Ce sont, au contraire, les « rêveurs » qui ont osé lancer la proclamation du 1er novembre 1954 qui allait mener à la libération de l’Algérie. Ce seront, par conséquent, d’autres « rêveurs », français et algériens, ensemble cette fois, qui rapprocheront nos deux pays — mes deux pays — par un traité d’amitié à la hauteur des chagrins et des espoirs de leur histoire commune.
E.W : Y a-t-il une différence entre la politique de l'ancien président Nicolas et celle de François Hollande sur l'Algérie ?
A.B : Une des étapes du voyage du président français me paraît exemplaire à ce sujet. Lors de sa visite en Algérie, la France, par la voix de M. François Hollande, va enfin rendre hommage à Maurice Audin, assassiné par les services du général Aussaresses. Le précédent président n’avait même pas répondu à la lettre de la veuve d’Audin demandant à ce que les circonstances de la mort de son mari soient éclaircies et que la France assume sa responsabilité dans cette affaire…
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Rfi, 21 décembre 2012 : "Paris et Alger « sont des partenaires
essentiels », insiste, dans le quotidien communiste,
l’écrivain Anouar Benmalek."