Forum des Young Mediterranean Leaders

Séville 5-7 novembre 2009

(Hôtel Alfonso XIII)

 

retour à la page d'accueil

retour àla page "Actualités diverses"

                                                                                                                                                                                            retour au sommaire de la revue de presse

 

 

 

 

 

 

Appel au Roi d’Espagne

Discours d’ouverture du forum des Y.M.L

Séville, 6 novembre 2009

 

 

 

 

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous dire la profonde émotion que je ressens d’être ici à Séville au milieu de vous. Seul le hasard plutôt que mon mérite personnel me vaut l’honneur d’être présent parmi vous dans cette assemblée. Je n’habite plus le pays de mon père, mais une partie de mon âme est restée à jamais en Algérie, ce pays où les forces de la lumière et de l’esprit tentent de s’opposer aux forces de l’obscurantisme et du malheur dans un combat courageux, mais encore loin d’être gagné. Quelle outrecuidance donc, pour moi, de discourir sur le thème de Séville, berceau de trois cultures et lieu de dialogue ! Dans cette salle, beaucoup, sans doute, vous entretiendraient mieux que moi de cette ville qui fait battre le cœur d’un homme comme moi, abreuvé aux sources des civilisations arabes et occidentales, sources souvent conflictuelles et, pourtant, si intimement entrelacées.

Alors, s’il faut chercher une raison à ma présence dans ce forum, peut-être la trouverait-on en cherchant bien dans mon avant-dernier roman Ô Maria  (Éditions Fayard), publié en France et traduit en castillan sous le titre La Esclava (Éditions Grijalbo), roman  consacré à la tragédie des Morisques d’Espagne, ces descendants des Andalous musulmans obligés de se convertir après la défaite de 1492, sous peine de bûcher et déportés par centaines de milliers au tout début du dix-septième siècle,  après un édit royal de bannissement, quelque cent ans donc après la chute de Grenade.

Dans le cadre de la préparation de ce roman dont une bonne partie se déroule à Séville, j’ai passé un temps passionnant à consulter des ouvrages d’historiens, à parcourir des documents d’archive, à lire des romans et des pièces de théâtre de l’époque, à admirer des peintures sublimes, pour tenter de comprendre ce qui avait pu mener la société espagnole du seizième et du dix-septième siècles à l’impasse abominable du racisme et à l’édiction des fameuses lois de pureté du sang qui considéraient les Juifs et les Musulmans comme atteints d’une macule indélébile qui les rendait indignes de demeurer dans les territoires appartenant à la couronne espagnole.

J’ai appris également (et, pourrais-je dire : malgré tout) à aimer les êtres humains de cette époque âpre et cruelle, gens épris d’absolu, tous plus ou moins fanatiques quelle que soit leur religion : la musulmane, la chrétienne, la juive, persuadés comme le sont la plupart des homo sapiens passés, présents, et, probablement, à venir, de détenir la seule vérité qui importe : la sienne propre. J’ai aimé ces gens, en effet, parce qu’ils avaient tous, à un moment ou à un autre, apporté leur fabuleux écot à l’humanité dans le domaine des arts, de la musique, de l’architecture, de la philosophie, des sciences et, même, de la gastronomie. 

J’ai appris également à relativiser l’ampleur de la tolérance dont on crédite trop rapidement l’Andalousie d’avant la chute de Grenade, période depuis toujours mythifiée par les Musulmans, maintenant peut-être plus qu’auparavant, dans un mouvement compréhensible de consolation devant le présent amer et indigne que subissent les sociétés musulmanes écrasées dans leur fierté et leur dignité par des régimes corrompus et autoritaires se servant des dogmes comme d’un instrument supplémentaire d’asservissement des corps et des esprits.

Et, enfin, à ma grande surprise, j’ai découvert, après la publication de ce roman, la grande actualité de ce Moyen Âge de la reconquista et de ses guerres de religion, mais dans l’autre sens : mon livre a été perçu par une bonne partie de la presse du monde arabe comme ce qu’il n’était pas : une attaque en règle contre la civilisation de l’Islam, et ce malgré le fait qu’il ramenait à la lumière de la mémoire ordinaire le destin des derniers Musulmans andalous et qu’il le faisait avec sympathie et compassion. Les réactions ont été étonnamment hostiles, et je parle ici par euphémisme, parce que cette empathie de l’écrivain ne s’interdisait ni la lucidité ni, à l’occasion, l’ironie…

Des réunions telles que la vôtre, qui prétendent au fond bâtir en vrai l’Andalousie mythique de la tolérance et de la coexistence fraternelle, sont donc d’une brûlante actualité.

Voilà donc la bénédiction culturelle qu’on m’a prié de donner au nom d’un magistère que je ne possède évidemment pas. Mais, afin que mon intervention ne se limite pas seulement à quelques paroles creuses de bienvenue, je voudrais profiter de ce passage à Séville pour adresser une prière au roi d’Espagne, sa majesté Juan Carlos. J’en avais fait la promesse intérieure à cette dame morisque, à laquelle j’avais dédié mon livre, qui, torturée par l’Inquisition, s’était, dans un geste incroyable d’amour, arraché la langue pour ne pas dénoncer son mari.

Deux communautés ont été tragiquement chassées d’Espagne, la communauté juive juste après la chute de Grenade, la communauté musulmane un siècle plus tard, à quelques années près.

L’Espagne a officiellement abrogé le décret d’expulsion des Juifs, dit décret d’Alhambra, en 1967, et ce n’est que justice. Grande justice, d’ailleurs, tant les Juifs ont participé à la splendeur de l’Andalousie.

Je prie sa Majesté Juan Carlos et son gouvernement d’en faire de même pour la seconde communauté. En annulant le décret d’expulsion des Morisques du 16 avril 1609, L’Espagne, la grande Espagne, panserait alors symboliquement et définitivement la terrible blessure qu’elle s’infligea alors en décidant de se débarrasser d’une partie de sa population et la place spéciale qu’elle a déjà dans le cœur des pays de l’autre côté de la Méditerranée n’en serait que plus confortée.

Merci d’avoir eu la patience de m’écouter et de vous associer à ma prière.

Anouar Benmalek

écrivain