Pour la seconde fois en quelques semaines, un journal algérien “ouvre” sur un appel au meurtre contre un écrivain algérien qu’il accuse d’avoir porté atteinte à l’Islam. L’un après l’autre, deux quotidiens ont enfourché le mouvement inquisitorial qui enfièvre le monde arabo-musulman. (extraits)
Mustapha Hammouche
Liberté,
15 octobre 2006
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Ces confrères ont-ils été pris d’émotion sincère ou s’agit-il, pour eux, de faire cause commune avec la communauté des gardiens du temple pour s’assurer leur bienveillance, par ces temps de meurtrières délations ? Qu’importe ! Le fait est que... Anouar Benmalek... [a]... fait les frais de cette conversion partielle de nos journaux à la défense du culte. De temps à autre, l’un d’eux croit avoir démasqué le Rushdie ou le Redecker national. Et s’en offense. Ce qui lui vaudrait peut-être la reconnaissance communautaire d’avoir été à l’avant-garde de la vigilance islamique en Algérie. Par les temps qui courent, ce serait plutôt payant.
L’un d’eux faisait dernièrement manchette avec ce titre : “Un écrivain algérien attaque l’Islam à partir de la France.” Mais les arguments cités en exergue sont loin de confirmer le réquisitoire scandalisé de la “une” ...
Confondre la critique d’un espace socioculturel, une manière de régir la société et même une chaîne de télévision avec une attaque contre l’Islam ! Le procédé est insidieux : présenter un point de vue d’intellectuel sur des pratiques sociopolitiques comme une atteinte au sacré pour disqualifier sa pensée ou le pousser à une vie clandestine.
Il est clairement perceptible, en Algérie, que l’intégrisme, sous l’impulsion de la démarche de réconciliation nationale, a envahi les espaces institutionnels et sociaux. Y compris dans ses procédés comminatoires. Mais le spectacle de journalistes s’adonnant à la délation meurtrière a quelque chose de navrant.
C’est d’autant plus navrant qu’il s’agit de journalistes algériens qui, contrairement à ce que l’illusion réconciliatrice leur fait miroiter, ne sont pas encore hors de portée du terrorisme rédempteur. Nos lettres de noblesse, que nous négocions aujourd’hui comme des lettres de change, nous les devons à des victimes de ce genre de fetwas. Et voilà que certains d’entre nous s’amusent à en délivrer contre des intellectuels compatriotes. Aucun motif ne peut excuser la participation d’une profession qui ne se justifie que par la liberté d’opinion à la traque de la pensée. À chacun sa vocation, la religion sera bien gardée.
Étrange retournement de situation où les cibles d’hier se transforment, sous l’influence des vents locaux, en pointeurs.
La presse est pour beaucoup dans la mort lente de la liberté d’expression. Mais on était loin de prédire qu’elle participerait un jour à son assassinat. “Tu quoque, fili ?”