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Tout cela sera balayé comme les boules d'asparagus devant le Bagdad café (Nadia Roman au SILA 09 - 7)

Citrouille (revue des libraires qui vous veulent du bien)

(extraits) 08 novembre 2009

    Nadia Roman est de retour au Salon du Livre d'Alger…

    Comme les années passées, elle nous offre ses chroniques, et nous l'en remercions.

Bonjour,

    Deux conférences aujourd'hui que je ne veux pas louper ; les auteurs en résidence en juillet et Anouar qui présente son roman, Le rapt. Je ne l'ai pas fini, un livre ni pour le soir ni pour le matin et je lis soir et matin... enfin un livre qu'on ne devrait pas avoir à écrire surtout, pas tant pour le lecteur que pour la véracité du fond. Cet auteur a à la fois le choix le plus noir et le verbe parfois si léger qu'on alterne à sa lecture, l'apnée et l'oxygène. En somme, un livre de plus qu'il écrit au péril de sa vie et de celle des lecteurs. Et il pèse lourd, ce qui fait que les séquelles peuvent également se traduire en lombalgies. Je ris pour faire genre -moi j'y arrive- mais pas tout le temps et dans longtemps encore, des images vives remonteront.

    Je n'ai pas encore dit qu'Anouar Benmalek fait parti de mon tiercé d'écrivains à moi (aux côtés de Frédéric Musso, pied noir pas diaphane, encore et toujours grain de sable vif et à vif) (oui c'est un duo, mais je ne vais pas faire non plus le podium olympique même si le salon est situé sur un stade olympique, lui !) simplement son maniement de la langue me va, ses sujets malgré tout (je voudrais bien sûr qu'il n'en ait pas l'occasion) aussi. Il parle souvent de l'enfance, s'en étonne mais le constate. Sa nouvelle L'enfant du ksar* reste pour moi la plus belle lecture sur la perte d'innocence, la bascule discrète et inexorable qu'un enfant connaît certes, mais pas toujours dans de telles conditions, narrée avec une telle intensité.

    La présentation de son roman est simple nette. Elle dit, il dit la schyzoparanoïdie du pays, pas avec moi donc contre moi. Il dénonce le mot « frère » qui lie du lien qui empêche. Il n'y pas de frères mais des concitoyens liés par un contrat social. Il écrit parce qu'il pense que la mémoire est volée, faite de mensonges, une mémoire pas construite. Il parle de la puissance et la violence du pouvoir. Ils ont fait leurs preuves, référence à la bleuïte, signe que la pensée était depuis longtemps interdite. Il écrit en France, oui, pour être libre de dire. Le pouvoir n'appartient pas aux dirigeants, ceux qu'il nomme potentat, valeureux combattants de la libération. Mais pourquoi ne pas pouvoir parler de Mélouza ? Le pouvoir ne leur appartient pas, qu'avons-nous fait de ce pays ?

    Il répond à une question de la salle ; il a commencé à écrire parce qu'une étudiante lui avait dit qu'elle parlait sanscrit et faisait des photos d'art. Il a écrit pour lui plaire, des poèmes et des textes. Il a écrit et a appris ensuite qu'elle de son côté n'avait rien fait de tout ça, affabulatrice mais désirable qui l'a mené, de ses études de math à Ludmilla, son premier roman qui dénonçait alors le fonctionnement du pourvoir soviétique (il a fait une partie de ses études en Russie) et que le gouvernement d'alors, le livre diffusé dans les librairies algériennes, a critiqué puis interdit car ses propos étaient putativement source de conflit international. Ha Anouar, tu vas toujours écrire là où il ne faut pas !

    Tout ceci est dit (et entendu) à Alger. Là non plus, je n'ai pas encore dit le pays du paradoxe (ho le joli mot). Parce qu'il répond à une question de la salle par un proverbe algérien (traduit) « nous sommes tous enfants de neuf mois », on est libre de tout dire, il n'y pas de triangle sacré, sexe religion politique. En se taisant, il y a tout de même des morts. Il faut tout dire, on est libre de tout dire, au risque que les constantes deviennent variables. Il est mathématicien aussi Anouar. Dans la salle une autre intervention, d'une enseignante et lectrice. Un certain état émotionnel a fait dériver le propos, elle qui liait les écrits récents d'auteurs pieds noirs ou appelés à ceux du Rapt ; la conversation s'est poursuivie hors de la salle, il fallait que ces choses soient dites et expliquées pour être entendues de toutes parts.

    Oui, j'ai pris des notes, c'est rare pour dire ici, mais je ne voulais pas me laisser emporter de même par le flot d'émotion et d'affect que ces propos ont fatalement (et salubrement) généré. Je ne voudrais pas non plus galvauder le mot -paradoxe- il en est bien ainsi pourtant. Venir dire ici, salle el Qods, que Le rapt a pour but la réparation symbolique des assassinats d'enfants, entre autres en Algérie. Ce grand gaillard, aux chemises foncées, grandes lunettes nez fin, tendance Darry Cowl, qui ne roule pas les R mais n'arrondit pas toutes les nasales, fils père prof, bouillonne explique crie, met en mots la douleur afin qu'elle soit dite dans un but de construction, déconstruction peut-être mais reconstruction certainement. Pas un tribun, un homme, un homme de sens...

Nadia Roman

* in L'année de la putain Fayard Paris, Le poumon étoilé Sédia Alger (c'est le même livre au titre différent)