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Le Rapt d’Anouar Benmalek

Publié le 10 août 2009

Le Rapt d’Anouar Benmalek chez Fayard

Le roman d’Anouar Benmalek nous transporte en Algérie, cette Algérie meurtrie par tant de crimes passés et présents. Aziz, jeune employé d’un zoo, au caractère joyeux, est marié avec Meriem dont il a eu une fille Chérahzade, 15 ans.

Tout ce passe pour le mieux dans cette petite famille raccommodée, en effet le père de Meriem, Tahar, a été combattant du maquis, moudjahid, et a rencontré Mathieu, jeune français ayant déserté en lui sauvant la vie. Ce Mathieu même qui deviendra, à la mort de son ami Tahar, le deuxième mari de sa chère femme : Latifa.

Puis au détour de quelques pages, la vie si tranquille de cette famille va basculer dans ce qu’il y a de plus sombre. Cherahzade ne rentre pas de l’école, une fugue ? Pire. Aziz comprend vite que sa fille n’a pas fugué mais a été enlevée. Un peu de tout lui passe par la tête : des islamistes, ceux là même qui ont égorgé ce jeune garçon dans le bus quelques jours auparavant. Dans ce pays où règnent la corruption, les tortures, la haine et ses fanatiques, Aziz se sens perdu, que faire ? Il ne tardera pas à le savoir, car le ravisseur le connaît bien lui et sa famille, ils communiqueront par téléphone, Aziz obéira à toutes les réclamations du ravisseur notamment de ne pas prévenir la police et allant jusqu’à devenir un assassin pour libérer sa fille.

Dans la première partie du récit, le narrateur est Aziz, il nous entraîne dans son malheur, et nous conte l’enlèvement de sa fille, la douleur de perdre cet être qui ne connait pas encore la vie, et ce meurtre qu’il commet à contre cœur. Étape par étape, de coup de fil en coup de fil le ravisseur prolongera cette torture psychologique avec le plaisir d’un sadique et une bonne humeur à faire vomir. Cherahzade, elle, connaîtra la torture physique, le ravisseur lui coupant trois de ces doigts.

La torture, voilà le mot prédominant de ce roman. En effet, cet enlèvement n’a rien d’anodin, rien à voir avec tous ces enlèvements contre rançon, l’argent n’est pas le mobile. Le mobile est la vengeance. Aziz ?, lui qui n’a jamais rien fait à personne ?, non, cet être lâche lié d’une manière improbable à un crime perpétré il y a près de cinquante ans, sera simplement l’objet, le prisonnier des caprices du ravisseur même si celui qui est visé n’est autre que son beau-père, Mathieu, ce Français demeuré en Algérie après l’indépendance.

La deuxième partie du roman passe la main à Mathieu qui devient le narrateur de sa guerre d’Algérie, la guerre de Libération, il a fait partie des DOP, les redoutables Détachements Opérationnels de Protection, unités de tortionnaires professionnels dont l’armée française s’est longtemps acharnée à nier l’existence.

La rencontre avec celui qui deviendra son ami, Tahar, va se faire dans une salle de torture, capturé trop facilement, ce maquisard, traumatisé  par le massacre de Melouza, souhaitait seulement en finir avec la vie, se libérer de cette guerre et de ses crimes.

Melouza, c’est de cette tragédie dont va découler le destin de la famille d’Aziz, avec cette sensation presque visuelle de vivre avec lui ce cauchemar. Durant ce massacre, des dizaines et des dizaines d’hommes et d’adolescents seront sauvagement abattus par des maquisards les soupçonnant d’avoir sympathisés avec l’ennemi, l’armée française. Certains d’entre eux iront jusqu’à découper en morceau la famille d’une garde-champêtre : le père, la mère, la belle-fille et  une petite fille prénommée Cherahzade.

Tahar ne se pardonnera jamais d’avoir laissé faire ça, lui considéré comme un héros par tous, est rongé par le remord, il se donnera la mort pour en finir avec ses démons.

Décidé  à se venger, le ravisseur fera tout ce qui est en son pouvoir pour détruire cette famille, de faire payer le prix à celui qui est considéré comme l’auteur du massacre de la famille du garde-champêtre et à celui qui l’a libéré.

On entre dans ce roman par la porte de l’ironie surtout avec cette scène où le jeune garçon sur le point d’être égorgé se souci d’avantage de son pantalon blanc que de sa vie, on devient stressé puis abattu, pour en ressortir retourné par un dénouement dramatique, ému de ce destin et pris de pitié pour cet homme meurtrie d’avoir perdu sa famille. Le lecteur navigue entre passé et présent, à travers le tableau d’une Algérie déchirée par tant de violence. L’auteur ne prend le parti ni de l’Algérie ni de la France, l’amitié impensable entre Tahar et Mathieu permet d’évoquer les atrocités commises par les deux camps.

Tout dans ce drame laisse le lecteur songeur et toutes ces injustices commises au nom d’une Libération, ces tortionnaires et assassins amnistiés dans le but de tourner la page, laisse rageur. Anouar Benmalek nous emporte dans son univers : l’Algérie et nous conte cette histoire présente imbriqué dans le passé, cette démarche qui fait son style ; et des personnages constamment tourmentés, marqués à vie par des blessures dont on ne guéri jamais.

                                                                                                                                Chronique rédigée par Stéphanie du blog Les lectures de Stemilou.