Le poumon étoilé,

Editions Sédia (Alger), juin 2006, 267 pages

Info Soir, Louisa Kendil, 23 juillet 2006

La tragédie de l’homme

      Les auteurs algériens en exil continuent de défricher le terrain de la découverte avec de singulières productions littéraires qui connaissent, outre-mer, un franc succès.

      Avec une carrière d’écrivain prometteur et des œuvres primées et traduites dans plusieurs langues, Anouar Benmalek, dont la percée littéraire ne fait pas l’ombre d’un doute avec des productions régulières qui font de lui «le Faulkner méditerranéen» selon l’expression consacrée de la revue L’Express, récidive en faisant paraître simultanément en France et en Algérie, Le poumon étoilé (en France, L'année de la putain).
      Cette remarquable œuvre de fiction est composée de neuf nouvelles qui se lisent comme des récits particuliers aux sonorités historiques multiples ; chaque texte se présente sous la forme d’un court roman ponctué de dates (de 1941 à 1982), mettant en scène des personnages insolites, des universitaires, acteurs de guerres que se livrent les peuples de la misère, des conflits de toute sorte, des fléaux de l’humanité.
      Ces récits poignants de vérité mettent en scène des protagonistes en proie à des difficultés extrêmes, dans un pays qui porte les stigmates de la colonisation et des atrocités de la guerre. Ils ont pour toile de fond un territoire qui va du nord-est de l’Algérie (les Aurès) au Constantinois, puis un bateau transportant des Français vers l’Algérie, dans une Méditerranée bombardée par les avions de chasse allemands en pleine Guerre mondiale.
      Nous revenons dans les Aurès pour suivre du regard la faim et la misère des Algériens ; nous descendons ensuite vers le sud, chez les Beni Abbès, que nous quittons pour le Nicaragua en pleine répression militaire ; nous atteignons le Liban en pleine guerre civile, puis l’Indonésie (Jakarta) pour suivre les traces de deux adolescents dont les conditions de vie sont effrayantes de pauvreté.
      Voyage aux confins des soubresauts de l’humanité dans sa folie meurtrière, Le poumon étoilé est aussi une vive interrogation sur Dieu et la création, sur l’absurdité des mondes qu’opposent des civilisations contrastées, sur une fraternité continuellement trahie par l’homme à l’esprit prédateur, avec les thèmes récurrents de l’actualité politique dans une sorte de géographie temporelle. Un à un, les personnages distribuent les cartes d’un jeu où la fatuité des êtres et des choses en font un cirque ; le narrateur est stupéfait et sa colère véhémente. Les lamentations d’Eve (le récit qui ouvre le livre) sont insuffisantes et impressionnantes devant le meurtre de son fils Abel.
      Rashed — personnage central du second récit — en quête de subsistance, se retrouve mendiant près d’une mosquée et cherche en vérité son Andalousie intérieure : «Voilà, je viens de très loin, d’Andalousie, si tu veux tout savoir. Je suis un voyageur épuisé qui cherche un hammam respectable pour se débarbouiller un brin.» (page 64).
      Farroudja fuit les bombardiers français, avec ses deux enfants, dans les montagnes enneigées des Aurès en 1956. L’Enfant du ksar est un garçon dont l’enfance innocente est confisquée.
      Que fait un Palestinien grièvement blessé sous la table d’opération, devant un chirurgien maghrébin, dans Le poumon étoilé, la nouvelle qui donne son titre à cette œuvre ? Il raconte sa condition difficile d’opprimé qui résiste à l’occupation, à l’indifférence de certains Etats arabes ; il raconte enfin la guerre civile au Liban.

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