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El Watan  le 19.06.11

 

 

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Anouar Benmalek : «Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans l’indignité»

 
	L’auteur et poète algérien,  Anouar Benmalek.
L’auteur et poète algérien,  Anouar Benmalek.

 

Le romancier et poète Anouar Benmalek s’apprête à publier à la rentrée, en Algérie et en France, Tu ne mourras plus demain. Un récit dans lequel il revient sur la mort de sa mère. L’auteur se dit étonné par le silence de l’Algérie officielle sur les situations en Libye, en Syrie et au Yémen, où les dictateurs en place massacrent leurs populations pour rester au pouvoir. Anouar Benmalek a participé dernièrement à Alger à une journée débat sur «L’autofiction dans la littérature contemporaine» organisée par la Délégation de l’Union européenne (UE).

 

-Tu ne mourras plus demain est votre nouveau récit. Il sera publié au début de l’automne. Qui ne «mourra pas» demain ?

C’est mon premier texte personnel dans lequel la distance entre l’auteur et le narrateur est nulle. J’évoque le séisme qui a été pour moi la mort de ma mère. Pour chacun de nous, la mort de la mère renvoie à sa propre mort. On se retrouve dans ce qui nous attend tous : mourir. La seule consolation que vous pouvez trouver en tant qu’écrivain est écrire. Et quand on prend comme prétexte d’écrire à sa mère, en fait on écrit à soi, cela est difficile. Difficile pour moi car, en général, je ne parle pas de moi, je prends le biais de la fiction qui ressemble à une espèce de pudeur due, probablement, à l’éducation et à notre civilisation. J’attends avec une curiosité inquiète la manière dont mes frères et sœur en particulier vont recevoir ce texte.

-Et pourquoi ce passage l’écriture personnelle ?

Je ne savais pas que la mort de ma mère allait m’affecter à ce point. La mère est toujours là avec vous et on pense qu’elle est éternelle. C’est la seule à qui vous pouvez toujours vous plaindre. Et quand elle meurt, vous découvrez la réalité de l’existence. Et la réalité de l’existence est qu’on meurt. La mort de la mère vous prive de tout appui. Vous assumez alors la responsabilité de votre destin. C’est aussi une tragédie, naître pour mourir. Les animaux, qui sont dépourvus d’intelligence, ne réfléchissent pas à cela. L’intelligence est un cadeau empoisonné. Pour moi, il était indispensable d’écrire ce texte. J’étais sur un projet d’un livre. Je ne pouvais plus continuer. J’ai alors arrêté. C’est simple : si je n’avais pas écrit Tu ne mourras plus demain, je crois que j’aurais cessé d’écrire. Ma mère a souffert le martyre dans un hôpital algérien. Elle a connu tous les problèmes que connaissent les Algériens dans les hôpitaux. Il n’y a pas de médicaments ! Et quand on en trouve, il faut courir le soir derrière un infirmier. Bref, l’horreur que tout le monde connaît.

-Justement, pourquoi ne pas écrire sur les hôpitaux ?

Je ne m’attendais pas à cette question (Rire) ! Attendez, j’ai toujours été sévère envers les hôpitaux dans mes romans. Dans Les amants désunis, par exemple, il y a un passage sur les hôpitaux. Entre nous, la réalité dépasse la fiction dans les hôpitaux algériens. J’ai vu de mes propres yeux, à l’hôpital d’Alger, un agent poser le pain destiné aux malades par terre le temps de s’essuyer les mains et de reprendre le même pain ! Je n’arrivais pas à en croire mes yeux. Pire, j’ai payé un infirmier pour qu’il me ramène un drap pour ma mère malade, dans un hôpital à Alger. Si vous me branchez sur les hôpitaux algériens, je n’en finirais pas !

-Etes-vous inspiré par ce se passe actuellement dans le monde arabe comme révoltes populaires contre les dictatures ?

A mon avis, c’est l’un des événements les plus importants de ces 200 dernières années pour le monde arabe. C’est la première fois que le monde arabe découvre qu’il a droit à la dignité. C’est un événement extraordinaire. On ne se rend pas compte de cela. Je dois dire que j’ai honte pour mon pays, l’Algérie. L’Algérie, qui a gagné sa guerre d’indépendance les armes à la main, et qui ne dit rien d’explicite contre un dictateur comme Mouamar El Gueddafi, contre un Bachar Al-Assad qui bombarde sa propre population en Syrie, contre Ali Abdallah Salah qui n’a pas hésité à tirer contre les foules au Yémen, contre le Bahreïn où la révolution a été, pour l’instant, vaincue et les responsables condamnés à mort…

-Comment expliquer ce silence des autorités algériennes ?

Le silence du cartel des dictateurs se comprend. Il est normal que les dictateurs se soutiennent entre eux,  que ce soit dans le cas des dictatures molles, comme l’Algérie, ou dans celui des dictatures dures, comme la Syrie. Il y a une certaine apathie de l’Algérien ordinaire qui ne sort pas dans la rue pour  exprimer sa solidarité. Cela fait mal au cœur. Il est vrai que l’Algérien a beaucoup souffert. Les quinze dernières années ont été terribles. Cela dit, nous devons, nous peuple algérien, soutenir les peuples arabes. Le monde commence à nous regarder d’un autre œil. Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans l’indignité. Nous pouvons regagner notre place dans la civilisation.
Rendez-vous compte : les Chinois ont interdit la culture du jasmin ! Ce mot jasmin commençait à évoquer un peu trop les révolutions du monde arabe. Les indignés en Espagne ont pris comme exemple, parfois, les révoltes tunisienne et égyptienne.
Pour la première, nous commençons à être pris, non pas comme un objet repoussoir, mais comme un exemple. Cela est déjà énorme. Nous ne sommes pas condamnés à vivre avec des dirigeants qui n’ont que mépris pour leurs peuples. 

Fayçal Métaoui