Ô MARIA  d’Anouar Benmalek

 

 

Lorsqu’on évoque l’Andalousie nous vient instantanément à l’esprit une image édénique venue du passé ;  un temps et une contrée où le miel coulait dans les rivières où les jardins enchantés embaumaient le lustre d’une poésie éternelle,  un univers où les femmes étaient aussi belles que leur musiques,    Ce monde idyllique de tolérance fraternelle,  idéalisé et fantasmé a laissé place après la Reconquista à la fin du 15 siècle,  à un enfer  répressif  mené par les soudards d’Isabelle la Catholique.  Ceux des Musulmans qui n’ont pu fuir vers la rive maghrébine ont été massacrés dans de véritables petits génocides. D’autres ont pu rester à condition d’abjurer la religion d’Allah et se convertir à celle du Christ et du roi.

 Considérés comme des esclaves corvéables, et négociables, ces morisques, sont resté sous surveillance étroite, reclus dans de véritables ghettos, mis sous apartheid durant des siècles. 

 Au moindre soupçon de reniement ou de parjure, la délation faisant des ravages y compris à l’intérieur de la communauté,  ils étaient suppliciés sur la place publique avant d’être brûlés sur un bûcher sous les applaudissements des bons sujets de sa Majesté.

C’est dans un monde aussi réjouissant et pour tout dire infernal que nous entraîne Anouar Benmalek dans une épopée d’un nouveau genre où le souffle historique sert de moteur à un splendide et bouleversant destin de femme.  C’est le sujet de ce roman intitulé Ô Maria paru aux Ed Fayard.

Maria a vu le jour quelque part vers le seizième siècle sur les monts des Alpujarras. Elle s‘appelle en fait Aicha mais il n’est pas question que cela se sache à l’extérieur du clan morisque,  

 Très vite, les événements se précipitent et Maria se retrouve orpheline capturée par un jeune rabatteur d’esclaves. L’adolescente est d’une beauté diabolique. Pas question de gâter la marchandise. Mais le ruffian se satisfait quand même en limant son membre entre les rondeurs de la gamine avant de la vendre à un vieil artiste peintre à la recherche d’un modèle féminin. Maria convient très bien à Don Miguel. Il est, certes, sensible à sa beauté troublante, mais il voit aussi que la descendante des morisques, Ô paradoxe, est l’incarnation même de la madone. Maria devient à la fois la bonniche du peintre et son inspiratrice pour une œuvre où se mêlent l’iconoclaste et le sacré.

L’hymen sacré et convoité de Maria va être plus tard défloré dans une sorte de double mouvement. Prise de passion pour un apprenti puceau embauché par Don Miguel c’est elle qui prend les devants et viole littéralement le jeune et futur castrat. Découvrant le pot aux roses le peintre entre dans une rage folle.  Il se défoule alors sur ce corps dont la pureté a  été altérée par le foutre du premier merdeux venu.   En perdant sa virginité Maria a souillé ainsi l’esprit immaculé qu’elle incarnait pour porter l’icône de la sainte mère. La catin n’aura que ce qu’elle mérite. Damnation.

Après de nombreux épisodes dantesques et picaresques,  Maria donne naissance à un garçon baptisé Juan. Un bâtard nanti d’une double paternité dont il semble porter les deux stigmates.  Maria fera tout pour que son enfant ne vive pas les mêmes affres que sa communauté. Elle refuse pour lui un destin de proscrit. Et lorsqu’elle est brûlée vive sur le bûcher municipal, son âme continue de protéger Juan du haut du néant divin. Car, là-haut, c’est bien le néant, confirme Maria qui exprime l’indignation de l’auteur.  La brutalité de l’homo sapiens vaut bien le cynisme sarcastique des autorités célestes. Alors de grâce un peu moins de pureté et un peu plus d’humanité, supplie le romancier dans sa dernière œuvre aussi explosive que substantielle. 

  Cela s’appelle Ô Maria.  Une épopées féminine signée du Faulkner méditerranéen Anouar Benmalek (Ed Fayard).

 

        Djillali Bencheikh,

             RadioOrient, 9septembre2006