Ô Maria d’Anouar Benmalek, Fayard 2006

 

 

 

 Cela commence par une scène atroce : à Séville, en 1610, un jeune homme assiste a l'exécution de sa mère, brûlée vive en place publique. C'est la sombre époque des persécutions et du bannissement pour les musulmans et les juifs, les morisques. Maria nous conte l'itinéraire de cette femme, musulmane d'origine et chrétienne par nécessite, jusqu'à sa fin tragique, dans une Andalousie misérable et somptueuse, violente, cruelle, où l'intolérance et le fanatisme religieux broient les destins.

Le destin de Maria est d'abord celui d'une esclave, capturée après la mort de son père dans des circonstances dont elle s'estime responsable. Exploitée, abusée, libérée de son esclavage grâce au meurtre de son maître, elle doit à sa beauté quasi surnaturelle de susciter dès son plus jeune age le désir des mâles de tous ages et de toutes conditions, ecclésiastiques compris. Servante chez un peintre qui voit en elle comme une réincarnation de la Vierge, elle tombe amoureuse de son aide, le jeune Lorenço, promis au chaponnage pour aller rejoindre en Italie la confrérie des castrats, mais qui l'engrosse avant la fatale opération. Douée d'une forte nature, ce qui nous vaut des pages d'une belle subtilité sur le désir féminin où se retrouve le goût pour l'érotisme subtil de la vraie grande tradition arabe, Maria, mi-sainte mi-catin, partagée entre la haine des hommes et le besoin du plaisir qu'ils lui donnent, ira jusqu'au bout de sa violence de victime de la folie de « pureté » religieuse qui s'abat sur l'Espagne.

 Les péripéties de cette vie douloureuse et flamboyante se poursuivent au-delà de la mort par la grâce d'un récit qui s'infléchit vers le surnaturel et composent un roman d'une force peu commune. On connaissait le talent de conteur d'Anouar Benmalek dont l'un des précédents ouvrages, Ce jour viendra, déployait les ressources d'un imaginaire romanesque exceptionnel. Ô Maria confirme largement cette richesse de langue, d'images, d'invention dramatique, notamment dans le recours à la tradition picaresque espagnole, Maria étant comme la petite soeur tragique de Lazarillo de Tormes. Mais c'est surtout la langue qui séduit : d'une crudité évitant l'obscène, riche de couleurs et d'images déployant un baroquisme sans pesanteur, émaillé de dialogues savoureux, le style vigoureux du conteur nous rend d'autant plus émouvant son message syncrétique et universel..."

 

Le Magazine Littéraire, Bernard Fauconnier, octobre 2006