Maria-Aïcha

 

 

 

Correspondances internationales, Christiane CHAULET ACHOUR

 

Avec Anouar BENMALEK et ce magnifique roman, Ô Maria, ce n’est plus l’Algérie qui est l’espace de l’histoire mais l’Espagne d’après la Reconquista. Celle-ci prend fin avec la prise de Grenade en 1492 et n’expulse pas tout d’abord les centaines de milliers de musulmans qui restent sur son sol. Leur histoire est tragique, de la tolérance de leur statut religieux à leur chasse et extermination. Sommés de devenir chrétiens sous peine de mort, ces anciens musulmans, nouveaux chrétiens, restés sur le sol d’Espagne, sont surnommés moriscos ou morisques par les Espagnols. C’est à eux que Anouar Benmalek consacre son roman. Il choisit un personnage féminin, inspiré d’un personnage historique qui vécut à Torrelas à la fin du XVIe siècle.

Echappant aux pièges du roman historique en sachant équilibrer, avec virtuosité, informations historiques et mise en narration romanesque, Anouar Benmalek offre un récit fort et violent d’un destin de femme aggravé par sa beauté, entre 1570 et 1610, date à laquelle cette Maria se consume sur le bûcher de l’Inquisition, sous les yeux de son fils revenu d’Italie : « Ma mère était cruelle et je l’aimais comme on aime un ange. Elle, de son côté, m’aimait comme on aime un bâtard : amèrement, violemment, avec haine parfois ». Premières phrases d’un roman qui jamais ne nous laisse en repos, qui nous bouscule dans nos représentations idéalisées et met des images sur des silences, ceux d’une déportation terrible, ceux aussi de l’impossible humanité à maintenir quand le destin vous accule aux frontières de l’humain et vous fait basculer dans l’animalité. Anouar Benmalek avait déjà « réveillé » un génocide avec L’Enfant du peuple ancien. Il reprend à nouveau cette veine nourrie de recherches historiques et d’une plume de romancier qui bouleverse et dérange. Le passé peut devenir, pour qui veut lire, miroir du présent. Car, comme l’écrivait Rodrigo de Zayas, dans Le Monde Diplomatique de mars 1997, l’expulsion des Morisques d’Espagne fut « le modèle moderne » des persécutions racistes du XXe siècle. L’art de Benmalek est de nous le faire vivre de l’intérieur, au plus près de la chair des quarante années de vie et de calvaire de Maria-Aïcha. 

 

 

                                                                                                                                               Christiane CHAULET ACHOUR