CULTURE |
RENCONTRE AVEC ANOUAR BENMALEK AU STAND APIC
«Ne jouons pas à être poète»
04 Novembre 2007
«Dans le naufrage de la vie, la poésie est une chambre à air...», écrit l’auteur dans ce recueil où il est question de souffrance, d’absence, de colère, mais aussi d’amour et d’espoir...
C’e n’est pas tous les jours
que l’écrivain Anouar Benmalek «pond» un livre de poésie. Vendredi
dernier, nous l’avons rencontré au stand des éditions Apic où il signait son
nouveau recueil Ma planète me monte à la tête. Toujours affable, il a
accepté de répondre à nos questions et nous parler de sa seconde passion pour
les mots, dans sa version «poésie»...
L’Expression: Le titre de votre recueil de poésie est
plutôt «Al Gorien»...
Anouar Benmalek: Le titre fait référence à ce qui se passe sur notre
planète qui peut être parfois scandaleux et insupportable. Ce n’est pas du tout
le complexe «algorien», écologique dont vous parliez. Je parle à titre
d’exemple d’une enfant que j’ai vu une fois en Inde, téter une chienne. Elle
crevait de faim. On se demande comment une planète peut tourner tranquillement
pendant que de telles choses peuvent se passer. En même temps, elle est
tellement belle, cette planète... Il y a de tout. De la beauté, de l’infamie...
Il y a de quoi espérer et désespérer à la fois. J’aime notre planète, mais
parfois, vraiment, elle me monte à la tête.
C’est le résultat de tous vos voyages, ces états d’âme?
C’est 10 ans de voyage. C’est une espèce de journal, pas dans le sens de
recensement d’événements. Ce sont des sentiments que je raconte car je n’ai
d’autres moyens de le faire qu’avec la poésie. J’écris peu de poésie. Pourquoi?
Parce que la poésie, c’est l’extrême pointe de la littérature. C’est son
Himalaya. Ma distance naturelle est le roman. Parce que je n’ai pas plusieurs
vies, la poésie me permet de condenser l’espace d’un roman en quelques lignes.
Une façon de souffler en abordant un autre genre de
littérature...
Souffler, oui. Quand j’écris un roman, moi je mets 2 à 3 ans sur le sujet. Vous
ne le quittez plus. Cela est insupportable. Vous voulez sortir de cet
enfermement et une des choses qui me permet d’en sortir est la poésie. Par
moment, c’est une respiration. Parfois quand vous écrivez un roman, vous êtes
dans la même situation que celui qui se donne comme tâche de traverser la mer.
Quand il est au milieu, il ne peut plus revenir en arrière. Il sait qu’il lui
reste la moitié du trajet à faire. Une de mes portes de sortie reste la poésie.
Je lis, par ailleurs, beaucoup de poésie. De tout. En fait, avant de commencer à
écrire, je me met à lire de la poésie. C’est une sorte d’échauffement
intellectuel. Mais c’est extrêmement important pour moi. J’écris un recueil tous
les 20 ans. D’abord pour ne pas dégoûter mes lecteurs (...), ensuite pour
engranger l'expérience nécessaire pour passer à l'écriture poétique. Le pire qui
puisse arriver à un poète, c’est d’être prolixe. S’il a de l’habilité, il risque
de ne pas chercher la dure profondeur.
Vous écrivez vos poèmes, le soir, sous pulsion ou d’un
jet? Dans un état semi-conscient ou de façon bien appliquée?
Je n’ai pas vraiment d’horaires. Appelons cela pulsion. Mais après je
retravaille beaucoup mon texte. C’est un plaisir de le retravailler. Le plus
difficile est de trouver l’idée du poème. De l’exprimer. Nous avons un bagage
limité de mots. Quand vous avez une sensation nettement nouvelle, comment
l’exprimer? Avec quels mots? C’est la partie du travail que je préfère. Parfois,
je parle d’événements qui me sont arrivés, mais le lecteur ne le sait pas. Car
il y a le poids de l’écriture etc. Je suis impudique, mais seul moi le sais...
Vous diriez quoi à vos lecteurs pour qu’ils achètent ce
livre?
J'emprunterai ma réponse à cette petite bande dessinée qui termine le livre et
qui dit ceci: «...Ainsi la poésie est, soit la chose la plus importante du
monde, soit elle ne l’est pas. Dans le naufrage de la vie, la poésie est une
chambre à air». La morale de cela: «La poésie est menteuse. C’est là son
moindre défaut!» J'entends par là que la poésie est extrêmement importante
et en même temps je soutiens que le pire de ce qui peut arriver à quelqu’un qui
écrit de la poésie, c’est de se prendre pour un "poète". Il faut résister à
l’intention d’être solennel. Ne jouons pas à être un poète. C’est ridicule.
Vous arrive-t-il de différencier votre style d’écrivain
de celui de poète?
Je crois que j’ai deux manières d’écrire. Je pense avoir deux styles différents.
Maintenant, il est évident qu’on reste soi-même. Ce n’est pas moi qui suis le
mieux placé pour le dire. Le lecteur, tel un médecin, peut faire son propre
diagnostic.
Mais j’essaie d’être le moins lyrique possible. J’essaie de faire naître
l’émotion de la manière la plus neutre possible. Faire naître l’émotion par ce
que je décris, non pas par le lyrisme des mots. Ne pas dire: "c’est beau", mais
faire en sorte que le lecteur, en lisant, découvre que c’est beau... C’est
un défi pour un auteur de créer l’émotion qui va avec la description la plus
clinique possible. Le lyrisme peu maîtrisé peut vous rendre grandiloquent. Je ne
suis pas un poète lyrique mais j’espère l’être parfois sans le vouloir... Écrire
avec des mots banals, simples et créer s un sentiment inattendu, que les gens
soient surpris par le sentiment qui les assaille. Mais c’est bien sûr au lecteur
en dernière instance de juger.
Propos recueillis par O. HIND