Pour les écrivains algériens, la fiction dépasse la réalité

Olivier Maison / Lundi 02 Novembre 1998

 

Ils adoptent le fantastique social pour concilier rengagement politique et la liberté romanesque.

    La littérature algérienne, longtemps ballottée entre le mépris en Algérie et le parrainage en France, est-elle en train de s'affranchir de la compassion des critiques et des attentes du public pour atteindre sa maturité ? ... Longtemps cantonnés dans une littérature d'engagement qui témoignait des horreurs islamistes ou de la corruption du pouvoir, les auteurs algériens étaient considérés comme des résistants plutôt que des écrivains, des combattants dont l'inspiration haletait au rythme des soubresauts de leur pays à l'agonie. Il y avait une nécessité, une urgence pédagogique à écrire, à décrire...

    De la même manière, les Amants désunis d'Anouar Benmalek, auteur en exil, rompt avec une littérature ancrée dans l'actualité. Cette saga romanesque revisite l'histoire du XXe siècle vue de l'autre côté de la Méditerranée : la Seconde Guerre mondiale, les lois antijuives, le mépris des colons, les révoltes arabes étouffées dans la violence. Pour Benmalek, il n'y a pas une fatalité du drame algérien ; il y a une histoire du drame algérien. Or, à force d'écrire contre l'oubli, les auteurs du Maghreb ont négligé le fait que la violence actuelle s'enracinait non seulement dans l'histoire du peuple algérien, mais aussi dans celle du XXe siècle. Ils ont fait de l'Algérie un particularisme. De leurs oeuvres, des oeuvres de circonstance.

    «Beaucoup de romanciers s'attachent à témoigner, résume Anouar Benmalek. Mais le romancier doit ramener à l'humanité ce qui peut être perçu comme une particularité.» Contraints à l'exil, coupés d'un lectorat qui ne peut plus les ire, confrontés à un public ignorant leur culture, ces auteurs se débarrassent des oripeaux de la littérature engagée pour toucher à l'universel. De l'urgence de décrire on est passé à l'exigence de l'écriture. ... ce n'est plus une réalité qu'ils combattent mais une absurdité qu'ils exploitent: l'Algérie est devenue prétexte à des nouvelles fantastiques, allégoriques, déroutantes, comme pour mieux rompre avec les attentes d'un public trop habitué à un réalisme sordide qu'il juge exotique. «Avoir du talent ne suffit pas, écrivait Nietzsche, il y faut encore votre permission - N'est-ce pas, mes amis ?» Aujourd'hui, les auteurs algériens ne quémandent plus ce droit, ils le prennent.