Le roman d’Anouar Benmalek
nous transporte en Algérie, cette Algérie meurtrie par tant de crimes passés et
présents. Aziz, jeune employé d’un zoo, au caractère joyeux, est marié avec
Meriem dont il a eu une fille Chérahzade, 15 ans.
Tout ce passe pour le mieux dans cette petite famille raccommodée, en effet le
père de Meriem, Tahar, a été combattant du maquis, moudjahid, et a rencontré
Mathieu, jeune français ayant déserté en lui sauvant la vie. Ce Mathieu même qui
deviendra, à la mort de son ami Tahar, le deuxième mari de sa chère femme :
Latifa.
Puis au détour de quelques pages, la vie si tranquille de
cette famille va basculer dans ce qu’il y a de plus sombre. Cherahzade ne rentre
pas de l’école, une fugue ? Pire. Aziz comprend vite que sa fille n'a pas fugué
mais a été enlevée. Un peu de tout lui passe par la tête : des islamistes, ceux
là même qui ont égorgé ce jeune garçon dans le bus quelques jours auparavant.
Dans ce pays où règnent la corruption, les tortures, la haine et ses fanatiques,
Aziz se sens perdu, que faire ? Il ne tardera pas à le savoir, car le ravisseur
le connaît bien lui et sa famille, ils communiqueront par téléphone, Aziz obéira
à toutes les réclamations du ravisseur notamment de ne pas prévenir la police et
allant jusqu’à devenir un assassin pour libérer sa fille.
Dans la première partie du récit, le narrateur est Aziz, il
nous entraine dans son malheur, et nous conte l’enlèvement de sa fille, la
douleur de perdre cet être qui ne connaît pas encore la vie, et ce meurtre qu’il
commet à contre cœur. Etape par étape, de coup de fil en coup de fil le
ravisseur prolongera cette torture psychologique avec le plaisir d’un sadique et
une bonne humeur à faire vomir. Cherahzade, elle, connaîtra la torture physique,
le ravisseur lui coupant trois de ces doigts.
La torture, voilà le mot prédominant de ce roman. En effet,
cet enlèvement n’a rien d’anodin, rien à voir avec tous ces enlèvements contre
rançon, l’argent n’est pas le mobile. Le mobile est la vengeance. Aziz ?, lui
qui n’a jamais rien fait à personne ?, non, cet être lâche lié d’une manière
improbable à un crime perpétré il y a près de cinquante ans, sera simplement
l’objet, le prisonnier des caprices du ravisseur même si celui qui est visé
n’est autre que son beau-père, Mathieu, ce Français demeuré en Algérie après
l'indépendance.
La deuxième partie du roman passe la main à Mathieu qui
devient le narrateur de sa guerre d’Algérie, la guerre de Libération, il a fait
partie des DOP, les redoutables Détachements Opérationnels de Protection, unités
de tortionnaires professionnels dont l'armée française s'est longtemps acharnée
à nier l'existence.
La rencontre avec celui qui deviendra son ami, Tahar, va se faire dans une salle
de torture, capturé trop facilement, ce maquisard, traumatisé par le massacre de
Melouza, souhaitait seulement en finir avec la vie, se libérer de cette guerre
et de ses crimes.
Melouza, c’est de cette tragédie dont va découler le destin
de la famille d’Aziz, avec cette sensation presque visuelle de vivre avec lui ce
cauchemar. Durant ce massacre, des dizaines et des dizaines d’hommes et
d’adolescents seront sauvagement abattus par des maquisards les soupçonnant
d’avoir sympathisés avec l’ennemi, l’armée française. Certains d’entre eux iront
jusqu’à découper en morceau la famille d’une garde-champêtre : le père, la mère,
la belle-fille et une petite fille prénommée Cherahzade.
Tahar ne se pardonnera jamais d’avoir laissé faire ça, lui
considéré comme un héros par tous, est rongé par le remord, il se donnera la
mort pour en finir avec ses démons.
Décidé à se venger, le ravisseur fera tout ce qui est en son
pouvoir pour détruire cette famille, de faire payer le prix à celui qui est
considéré comme l’auteur du massacre de la famille du garde-champêtre et à celui
qui l’a libéré.
On entre dans ce roman par la porte de l’ironie surtout avec
cette scène où le jeune garçon sur le point d’être égorgé se souci d’avantage de
son pantalon blanc que de sa vie, on devient stressé puis abattu, pour en
ressortir retourné par un dénouement dramatique, ému de ce destin et pris de
pitié pour cet homme meurtrie d’avoir perdu sa famille. Le lecteur navigue entre
passé et présent, à travers le tableau d’une Algérie déchirée par tant de
violence. L’auteur ne prend le parti ni de l’Algérie ni de la France, l’amitié
impensable entre Tahar et Mathieu permet d’évoquer les atrocités commises par
les deux camps.
Tout dans ce drame laisse le lecteur songeur et toutes ces
injustices commises au nom d’une Libération, ces tortionnaires et assassins
amnistiés dans le but de tourner la page, laissent rageur. Anouar Benmalek nous
emporte dans son univers : l’Algérie et nous conte cette histoire présente
imbriqué dans le passé, cette démarche qui fait son style ; et des personnages
constamment tourmentés, marqués à vie par des blessures dont on ne guéri jamais.